Médecins martiniquais au service de l’humanité

Trois pionniers, compagnons d’esprit du Dr Pierre Aliker, unis par la science, l’engagement et l’amour de leur île.


"Là où le savoir rencontre le courage, naissent les figures qui changent le monde."
Hommage aux médecins martiniquais qui ont marqué la médecine et l’histoire.


Par Gilbert PAGO, Historien
Raymond GARCIN

Raymond GARCIN

Le 21 septembre 1897 à Basse-Pointe en Martinique, nait, issu du milieu blanc créole, Marie Mathieu Jean Raymond Garcin. On le sonnait internationalement pour être un brillant neurologue et un réputé professeur de médecine dont on dit qu'il a été le, "neurologue marquant et la figure emblématique de l'hôpital de la Salpétrière".
Scolarisé pendant son enfance et adolescence, au séminaire-collège de Fort-de-France, il obtient son baccalauréat en 1915, à l'âge de 18 ans. Il s'inscrit cette même année à la faculté de médecine de Paris, où il accumule des résultats brillants. Nous sommes alors, en pleine première guerre mondiale ce qui le conduit à se retrouver « médecin auxiliaire » sur le front en 1917-1918.
En 1923, âgé de 26 il est lauréat au très sélectif concours d'entrée à l'internat des hôpitaux de Paris. Il est après Étienne Bufz de Lavison (1833) et Hippolyte Morestin (1890), le troisième Martiniquais en un siècle, à finaliser cette performance.
En 1927, interne depuis quatre ans notamment à la Salpétrière, il y décroche la « Médaille d'or » des prix de l'internat à l'occasion de sa thèse. Sa recherche doctorale multiplie les précisions sur la paralysie unilatérale isolée de tous les nerfs crâniens dénommée depuis lors, « Syndrome de Garcin »: une grande découverte de la recherche médicale !
En 1930, âgé de 33 ans, il est médecin des hôpitaux de Paris, pratiquant dans plusieurs établissements parisiens.
En 1939, décrochant l'agrégation, il est enseignant à la faculté de médecine de Paris, tout en étant nommé chef de service à l'hospice Rebrousse.
De 1942 à 1944 dans la France occupée, il est chef de service à l'hôpital Saint-Antoine.
En 1944 lors de la Libération, il est fait chef de service de l'Hôtel-Dieu où il officie jusqu'en 1948.
Dès 1945, sa réputation est définitivement établie avec le prix Montyon que lui décerne l'Académie des sciences, quant à son ouvrage sur les lésions traumatiques.
En 1947, il enseigne la clinique neurochirurgicale à la Faculté de médecine de Paris.
En 1948, en quittant l'Hôtel-Dieu, il retourne définitivement à l'hôpital de la Salpétrière jusqu'à sa retraite qui survient en 1968. Il y enseigne pour les étudiants et chercheurs la pathologie et la thérapeutique générales. Il y est nommé professeur titulaire en 1954.
Son parcours scientifique le conduit à être membre de la Société française de neurologie où il est secrétaire puis président en 1958.
En 1959, une chaire de clinique neurologique est créée pour lui à la Salpétrière.
En 1960, il est élu membre de l'Académie nationale de médecine.
Sa réputation est internationale. Il est plusieurs fois vice-président de congrès internationaux. On le retrouve membre de l'Académie royale de médecine de Belgique, de la Royal Society of Medecine de Londres, de l'American Academy of Neurology et de vingt sociétés de neurologie étrangères.
En 1961, il est vice-président de la Fédération mondiale de neurologie.
L'œuvre scientifique du professeur Garcin dépasse les 300 communications. Il y aborde la neurologie clinique et biologique, les blessures et lésions grânie-cérébrales, les maladies de la moelle épinière. Il est celui qui a créé le laboratoire de microscopie électronique à la Salpétrière.
Ce Martiniquais au parcours fructueux pour la médecine et pour la science, meurt à Paris, âgé de 73 ans, le 26 février 1971.
Jude TURIAF

Jude TURIAF

Le professeur, chercheur, et clinicien, Turiaf Toussaint Jude Gustave est né le 1 novembre 1904 au Carbet en Martinique. Dans sa biographie, on le confond souvent avec son frère jumeau Turiaf Toussaint Amédée Victor. Il décède à 84 ans, le 13 février 1989 à Paris.
Titulaire du baccalauréat en 1924, il bénéficie du prêt d'honneur du conseil général de Martinique pour poursuivre ses études en France. Il s'inscrit à la faculté de médecine de Paris où il obtient son PCN en 1925. Il rencontre des amis antillais et martiniquais dont Pierre Aliker, avec lequel il fait équipe de colles pour préparer le difficile concours d'internat des hôpitaux de Paris. Il est admis en 1934 au premier rang au point que sa promotion s'appelle la « promotion Turiaf ». Après son internat, il soutient sa thèse de doctorat en 1938, et est reconnu comme un créatif chercheur dans plusieurs centres hospitaliers où il est chef de clinique, puis assistant.
Dès 1939, il s'engage comme médecin dans un régiment d'infanterie.
Après la défaite de 1940, il rentre dans le réseau clandestin de résistance « Iurma Vengeance » en zone occupée. Il échappe à la déportation, et participe aux combats de la Libération de Paris en août 1944. Pour ces faits, Il reçoit la croix de guerre avec palmes et la croix de la Légion d'honneur à titre militaire.
En 1943, pendant l'occupation allemande, il est médecin des hôpitaux à l'hôpital Cochin, et y assure la consultation de médecine générale.
En 1949 après la guerre, Il devient, encore en poste à Cochin, professeur agrégé. Lors de sa leçon inaugurale, Jude Turiaf ne peut s'empêcher d'évoquer amoureusement son village natal du Carbet et ses crabes.
En 1954, il mute vers le service de médecine à Bichat. Il y reste jusqu'à sa retraite en 1975. En 1960, on y crée pour lui, la chaire de pathologie respiratoire.
De 1938 à sa retraite, Jude Turiaf a consacré de nombreux travaux à l'asthme. Il étudie beaucoup la sarcoïdose de Besnier-Bock-Schumann. Il individualise, parmi les maladies fibreuses du poumon, l'histiocytose. Il se voit attribuer par l'INSERM (institut national de la santé et de la recherche médicale), un des plus grands centres d'exploration pulmonaire, sans cesse enrichi de procédés les plus modernes d'investigation, doté de départements de physiopathologie, d'anatomopathologie optique et électronique, de bronchoscopie, d'immuno-allergologie. Un témoignage dit de lui :
« Jude Toussaint Turiaf était un remarquable professeur de pneumologie à Bichat, il avait lutté contre l'amiante, il posait des diagnostics en très peu de temps, un virtuose de la science clinique, un grand maître ».
Le 25 mai 1971, Jude Turiaf est élu membre de l'Académie nationale de médecine pour la section de médecine. Il en devient le président en 1986. Il est aussi auparavant membre de la société médicale des hôpitaux de Paris. Jude Turiaf est reçu comme membre d'honneur de la Société royale de médecine du Royaume-Uni et de l'American College of Physicians des Etats-Unis.
Après Soixante-quatre ans passées en France, il décède à Paris en 1989, mais se fait inhumer au Carbet dans sa terre natale.
Hippolyte MORESTIN

Hippolyte MORESTIN

Ce chirurgien martiniquais est très justement célébré pour avoir été celui des « Gueules cassées » de la Première guerre mondiale. Il se classe comme l'un des pionniers de la chirurgie réparatrice et esthétique, et un des dix plus grands chirurgiens français du vingtième siècle.
Il est né le 1e septembre 1869 à Basse-Pointe en Martinique, et est membre d'une famille de Blancs créoles. Il n'aura vécu que 49 ans, décédant le 12 février 1919 à Paris.
Sa mère est née Marie Pauline Berté. Son père est médecin chirurgien à Saint-Pierre, Charles Amédée Morestin, au quartier du Fort.
Hippolyte est scolarisé au séminaire-collège de Saint-Pierre, jusqu'à l'âge de 14 ans. Il quitte la Martinique en 1884, pour être accueilli dans l'élitiste lycée Louis-le-Grand à Paris.
Il décroche son baccalauréat de lettres à 16 ans, puis l'année suivante son baccalauréat de sciences à 17 ans avant de s'inscrire en 1886 à la faculté de médecine.
En 1890, brillant étudiant, il accède au concours d'internat des hôpitaux de Paris à l'âge de 21 ans. Il est le second Martiniquais, après le Dr Étienne Bufz de Lavison en 1833, à réussir à ce difficile concours. D'ailleurs, il acquiert son doctorat à l'âge de 25 ans en 1894.
En 1902, l'éruption de la Montagne Pelée cause la disparition à Saint-Pierre de 21 membres de sa famille. C'est un choc qui l'ébranle.
En 1904, à 35 ans, il devient professeur agrégé d'anatomie à la faculté de médecine de Paris, reconnu comme le spécialiste de la chirurgie réparatrice, et de la chirurgie maxillo-faciale. Il est l'expérimentateur et l'inventeur de techniques dont de nombreuses sont encore utilisées dans la médecine contemporaine et la chirurgie esthétique. Il a laissé plus de 600 articles scientifiques dans des revues spécialisées médicales internationales, sur des opérations chirurgicales de « cas difficiles », tels des lupus, des kystes, des appendicites, des becs de lièvre, des tumeurs, des articulations et de grosses infirmités. On retient plusieurs inventions mises au point par lui, et de nombreuses techniques: par exemple, les « autoplasties par jeu de patience» en reconstituant les visages sans apport de tissus étrangers. Il met au point un appareil pour aspirer le sang et la salive. Il a recours aux transplantations sartalasineuses.
Il exerce dans plusieurs hôpitaux de Paris, tels Tenon, Saint-Louis, Rothschild, et surtout Val-de-Grâce.
Pendant la Grande-Guerre de 1914-1918, mobilisé comme médecin, il opère comme chirurgien, plusieurs milliers de « Gueules cassées », en faisant tout pour soigner ces défigurés du conflit. D'ailleurs, cinq soldats gueules cassées soignés par lui sont présents lors de la signature du Traité de Versailles le 28 juin 1919. Entretemps, Hippolyte Morestin, décède le 12 février 1919, atteint de tuberculose et du virus de la grippe espagnole.